Il n’a pas fait long feu sur la place venteuse, faiblesse imprévue a forcé à battre en retraite même si à l’intérieur ça grondait, logé dans les entrailles, qu’il fallait le trouver. Il ne pouvait qu’être là, on ne lui aurait pas arraché sa moitié sans qu’il puisse s’en apercevoir. Mais ça cognait, ça tanguait trop sous les rétines alors il a capitulé, réfugié à contre-courant dans le bâtiment qui se vidait. Il s’est juste posé là, sur la couchette qu’on avait fait la sienne, il a fermé les paupières et tapoté ses doigts sur le matelas, rythme régulier pour tout arranger. Visage statue affiché, marbre dur et blême sur sa face.

On lui passe devant, on l’ignore et ça lui est bien égal, on est tout à son propre drame et il est sourd à toutes leurs voix. Jusqu’à ces mains qui secouent sans ménagement, il soupire et bat des cils, les traits du double voudraient apaiser un peu. Lui il les évite, répond d’un vague geste de la main vers l’entrée, il ne veut pas expliquer, pas se faire comprendre surtout. Le ton du jumeau froisse un peu et il secoue sa tête brune, répond bas mais sans appel. « Das ist nicht möglich. » Soleil faible dans la voix mais certain, Perets il ne serait jamais seul c’est leur pacte gémellaire, impossible de les séparer et quand bien même on s’y acharnerait ils mettraient le double d’efforts à se retrouver. L’aîné vient de le démontrer.

Menton saisi et le plus jeune ne lutte pas, les yeux glace verrouillent ceux en face. Il y a quelque chose qui s’allège dans la poitrine en observant son reflet, les lèvres qui se desserrent d’un rien pour esquisser l’ébauche d’un sourire. De ceux qui cherchent à balayer supplice et angoisse de l’heure écoulée, surtout n’en rien montrer. Édifice à deux piliers qui doivent tenir l’un tant que l’autre s’ils ne veulent pas voir leur château s’écrouler, dans les moments difficiles, dans les moments incompréhensibles.

L’allemand se dégage d’un mouvement doux mais assuré pour échapper aux prunelles inquisitrices, ajuste les verres sur son nez avant de darder ses azurs sur la pièce autour. « Gehen wir, jetzt ? » Demande presque supplique, on devine que tout est emmêlé. Zerah il ne compte pas rester là il l’a mauvaise après le réveil. Il se sent déjà prisonnier et sûrement que c’est précisément ce qu’il est. Il ne sait plus, ça frustre et ça brouille l’esprit.

Hochement grave du chef, c’est tout ce qu’il peut aligner à ces réponses qui n’en sont pas, ne font qu’alourdir la tête et l’angoisse. Si l’autre lui ne peut pas expliquer, si à deux ils peinent c’est qu’il n’y a rien à expliquer tout simplement. Et l’allemand il n’aime pas être dans le noir, esprit affûté qui déborde d’ordinaire d’idées. Elle hérisse celle qu’on ait pu les rouler, les piéger si largement qu’ils ne soient pas même capables de s’en souvenir. La tête se secoue pour chasser l’aigreur qui voudrait dominer. Une main se tend miroir à celle du jumeau, l’empare pour se redresser à son tour. Il serre ses doigts. Fort. Ça ne dure qu'un instant mais on croirait qu'il en avait besoin. C'est indétectable mais ça en dit plus que tous ses mots. Ça dit la peur, le soulagement surtout, ça dégèle le cœur. Qu'il a besoin de son reflet autant si ce n'est plus que de respirer.

Et il le relâche, à son tour passe une main sur la veste, dans les cheveux qu’il faut arranger. Antique habitude qu’il ne chasse jamais tout à fait, il suffit que les deux reflets se trouvent pour que les gestes, les attitudes se confondent et qu’on ne sache plus lequel est l’aîné. Glace parcourt la pièce qui s’est largement vidée. L’homme se baisse pour saisir le sac laissé au pied du couchage de fortune et l’envoie sur son épaule d’un geste vif avant de tourner les talons, intimer sans un mot à son double de le suivre. Au lieu de la porte d’entrée c’est celle du fond qu’il prend d’assaut, toujours à contre-courant. Sans surprise les sanitaires, sans surprise déserts. Zerah laisse le soin à son frère de fermer derrière eux.

Dernier regard jeté par dessus l’épaule, on s’assure que personne ne suive, que personne n’ait la mauvaise idée de les suivre. Ce serait plus agaçant qu’autre chose, une perte de temps et d’énergie inutile pour des abrutis qui voudraient traîner au mauvais endroit, avec les mauvaises personnes. Œillade inquiète ne tarde pas à retrouver le double qui déjà s’est enfuit vers la tranquillité et on presse le pas pour le rejoindre. La peur d’une séparation forcée et non-maîtrisée encore trop présente pour le laisser filer. Reflets se suivent, rideau se fait, personne n’assistera à la suite.

Spoiler:

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