Au final, la journée à la plage avait été bénéfique pour Andy. Leonidas était quelqu’un sur qui elle pouvait compter et hormis ce petit accrochage avec ce dirigeant des Jeunesses Hitlériennes, la seconde journée s’était plutôt bien terminée. Le vieux avait su se montrer disponible même si elle était fermée à toute discussion et ça, elle ne pouvait l’oublier. Il était sans doute la seule personne de confiance sur cette île et elle n’allait pas gâcher un aussi beau cadeau. Elle prendrait soin de Leonidas. L’air de rien, il avait su la toucher avec ses faiblesses.

Le soleil s’était couché rapidement, signe qu’ils étaient bien au nord, quelque part perdus dans l’océan ou dans une mer. Elle n’avait jamais été très douée en géographie de toute façons. Petit à petit elle rassemblait des éléments, se faisait une idée plus précise de cette vie étrange qu’ils étaient censés tous mener ici. Il était temps de trouver des réponses dans les divers baraquements. Tous les bâtiments se ressemblaient. Du putain de béton partout, encombré par la végétation. La nature avait repris ses droits depuis pas mal d’années, mais rien d’autre ne pouvait l’aider à déterminer une date, où lui donner une idée du lieux que c’était avant. Etait-ce vraiment une prison comme elle avait entendus certains raconter ? Ca y ressemblait mais aucun grillage n’était élevé autour d’eux, et il n’y avait pas de périmètres de sécurité, ni d’anciens miradors. Andy ne sortait jamais sans son sac à dos qui était accroché à son dos comme une carapace. Elle avait toujours sa baguette dans une de ses poches et à portée de main. Au cas où. Elle n’avait pas encore dû en faire usage pour se défendre ou pour attaquer mais si elle se sentait en danger, elle n'hésitera pas.

Elle arpente le domaine, elle avait cru voir une croix rouge sur l’un deux et c’était ce bâtiment qu’elle avait choisi d’explorer. Elle pousse la porte à battants, ça grince, ça couine. Tout est vétuste. Derrière se trouvent un grand local où sont disposés des lits en face à face, signe évident qu’il s’agissait d’un ancien centre de soins. Andy note qu’il manque les matelas. Étrange. Elle remarque un individu. Il semble… perturbé. Machinalement, elle caresse sa baguette dans sa poche pour vérifier qu’elle était toujours en place. Elle sussure en anglais:

“T'es Le docteur Maboul ? “ avant d’éclater de rire, moqueuse, comme à son habitude.

Andy s’avance dans la pièce, sourire aux lèvres. Elle se moque gentiment du type, en anglais, sans vraiment savoir si il comprendra. De toute façon, elle en avait pas grand chose à foutre. Ses yeux viennent se poser ici et là et l’autre, à part remuer de la poussière, il fait pas grand chose, elle va se poser contre le cadre d’un lit et le détaille de haut en bas en silence. Maboul, ça lui allait vraiment bien. Le mec se redresse. Il a des yeux de proie, l’air hagard comme ça. Un fin sourire se dessine sur les lèvres d’Andy, vorace et terriblement joueuse, comme à son habitude. Titiller, provoquer avec insolence c’est son kiff. On en apprend beaucoup sur les gens comme ça. Mais Maboul ne prend pas et la regarde, l’air stupide. Elle l'observe sans gêne, regarde ses gants de fortune. Okay, le gars est vraiment louche. De plus, il ne comprend pas l’humour ni le seconde degré. Plus il parle, le gars semble con comme la lune. Elle rentre dans le jeu, s’engouffre dedans, distraction du soir sera fort plaisante pour oublier l’épisode du matin.

“Maboul ça veut dire intelligent. C’est de l’argot, une expression ! ”

Elle lui offre un sourire gentil, dévoile ses dents et replace une mèche de cheveux derrière ses oreilles. Celle-là même que l’autre à osé touché. L’Allemand la dégoûte. Elle glisse sa langue sur sa lèvre fendue, elle semblait avoir dégonflé légèrement. Elle s’avance près de lui et penche la tête sur le côté, guettant la moindre information sur ce qu’il traficote avec les tiroirs vides et ces gants en tissu bizarre.

“Si t’es pas docteur, t’es quoi alors ? Personne est venu ici à part toi.”

Feinte. Elle en sait rien Andy mais elle tente. Peut-être qui lui donnera des informations sur ce qui les attends sur l’île ou même sur ce qu’ils sont sensé faire ? Il a un accent qu’elle n’arrive pas à replacer. Ca pue le nord. C’est pas de l’allemand et heureusement sinon elle lui aurait même plus adressé la parole. La brune à sa dose de Chleuh pour l’instant, elle va finir par en avoir une overdose. Il balance son prénom. Ah. D’accord.

“Moi, je m’appelle Lucie. J’ai deux frères et trois chien. J’adore la natation et je fais souvent de la course à pied avec mon papa. & J’adooooore les chocogrenouilles ! ”

Ton est sec, la voix est aiguë et imite une pimbêche qui se croit maligne et crache : “Tu t’es cru en colonie de vacances ou quoi ? T’as l’air complètement à côté des tes pompes ! Mec, si tu veux pas crever, fais gaffe à ce que tu dis. Putain.” Elle fait quelques pas en arrière secoue la tête : “Les hommes sont vraiment stupides ! Et ça, c’est universel putain.”

Andy s'emballe. La brune perd pied. Elle perd le contrôle de la situation. Son coeur bat la chamade, elle perd pied alors qu’il ne s’agit que du second jour. La matinée sur la plage lui a laissé quelques séquelles qu’elle a jugé bon de ne pas montrer à Leonidas quand il est venu lui venir en aide. Elle n’avait besoin de personne hein ? Elle est une femme forte, libre et indépendante. Sauf qu’elle était privée de liberté, qu’elle vivait entourée de criminels. Elle gueule, le traite d’abruti alors qu’il ne fait que donner son nom. Elle évacue sa peur et ses nerfs sont à vifs. Elle se noie et lorsqu’elle bats des pieds, elle s’enfonce dans la vase au lieu de remonter à la surface.


Le calme de Dimitri la déstabilise. Elle aurait voulu qu’il gueule, elle aurait gueulé plus fort. Andy se serait senti beaucoup mieux à évacuer sa haine et sa colère. Il vient perturber ses plans. Elle se laisse glisser par terre, lentement. Il lui conseille les plantes pour le soigner. Pourquoi il était si gentil ? Son corps s’affaisse, elle ne tient plus et quand son cul touche le sol elle fond en larmes. Elle baissait les armes. Elle abandonne ses barrières et ses défenses et évacuer le stress et la peur par des larmes qui n’avaient plus coulé depuis des années, depuis la mort de son père. Andy frappa contre le sol du plat de la main, plusieurs fois. Elle serrait les dents avec rage, hoquetait. Elle détestait se montrer faible et vulnérable mais putain, qu’est-ce que ça faisait du bien. Le sang coule dans sa bouche, plaie s’est à nouveau ouverte. Lèvre est suçotée et elle crache le sang au sol. Rage transperce son ventre, elle n’aime pas avoir peur. Elle a peur de rien, n’est-ce pas ? Elle a déjà pris tant de risques dans sa vie pour ployer de peur devant un abruti sans cervelle ? Elle n’allait pas se laisser faire par un allemand, oh que non. Visage caché par ses mains, elle prend une profonde inspiration. Faut se calmer à présent. Seconde Guerre froide à été déclarée, on attaque pas sans en subir les conséquences. Elle renifle, essuie son nez d’un coup de manche. Le silence se fait, les sanglots disparaissent. Elle redresse la tête, et croise le visage de Dimitri et lâche :

“Excuse. C’est mes allergies.” Elle ricane, joue sur l’auto-dérision avant de se redresser. “Désolé pour ce spectacle médiocre. Je m’appelle Andy.” Elle se racle la gorge et excuses traversent ses lèvres : “Je m’excuse d’avoir réagi comme ça. C’était complètement con.” Elle lève ses yeux bleus noyés dans les larmes “Et merci pour le conseil.” Elle lui offre un sourire triste, avant de tourner les talons. La honte la pousse à quitter les lieux.

Elle en avait eu des mauvaises idées, Andy, mais celle qui mérite la palme c’est sans doute celle de craquer devant un criminel. Pour elle, ils le sont tous tant qu’elle n’a pas la confirmation qu’ils ne le sont pas. La brune ne pouvait pas rester là, elle était couverte de honte, maudissant ses nerfs de l’avoir lâché. Finalement, la pire idée c’était peut-être pas celle-là, mais celle qui l’avait conduite à se retrouver coincée sur cette île.
Andy préfère s’échapper que de tenir compagnie à Dimitri dans ces circonstances. Elle lui lance un sourire avant de tourner les talons. Elle veut pas de sa pitié, c’est hors de question & elle préfère éviter de se faire attaquer. C’est à petits pas pressés qu’elle tente d’atteindre la porte.
Elle s’arrête & tourne lentement la tête. Elle hausse un sourcil. Sa voix est bizarrement douce à ce gars. Il approche, sa baguette est dégainée, elle ne réfléchis pas et à son tour, avec rapidité elle pointe la baguette sur lui.

“T’approches pas.”

Ton est sec. Elle ne se fera pas avoir. Mais il veut soigner sa lèvre. “Hein?” Mais pourquoi tout le monde s'obstine à vouloir l’aider ?! Elle serre sa prise baisse sa baguette, agacée. “Merci, mais non merci.” Elle fronce les sourcils. Ce type est pas comme les autres et elle ne range pas sa baguette pour autant. Sa lèvre balafrée, elle allait l’exposer au monde avec fierté, elle s’en fichait de la douleur que cela pouvait lui apporter. Ses yeux sont perçants et elle le détaille sans aucune gêne. Sa langue claque, méfiante : “Pourquoi tu veux m’aider ?” Il roule pas des mécaniques, lui. Et sa voix est plutôt douce malgré son accent à couper au couteau. Elle soupire, hausse les épaules, s’avance vers lui. “Ouais si tu veux. Mais je doute qu’on trouve quoi que ce soit.” Cependant, elle ne bouge pas, garde toujours sa baguette entre ses doigts. “J’essaie de trouver des réponses. Et toi ?”

Il faut s’entraider. Il a raison. Elle est trop sur les nerfs, faut qu’elle se calme. Alors elle baisse sa baguette et lui offre un maigre sourire. Putain. Cet endroit va la rendre barge avant la fin de la semaine. Andy à l’air peut-être mal en point avec sa lèvre, mais elle ne laissera personne la soigner. Elle préfère exhiber sa cicatrice, montrer que y’en a qui ne tournent pas rond dans leur tête. Elle veut pas être vue comme une martyr, mais expose sa balafre permettra sans doute aux plus naïfs de se rendront compte qu’ils n’étaient pas dans un centre aéré et encore moins en colonie de vacances. Quand il range sa baguette, elle fait de même. Il ne pose pas de questions et rien que pour ça, elle lui en est reconnaissante. C’est pas un curieux, c’est bien. Faut rester loin des emmerdes des autres, surtout si ils sont aussi hargneux que la brune.

Il propose de chercher. Elle dit oui. Elle veut pas dormir maintenant. Il est trop tôt et en plus, elle a pas envie de ressasser la journée. Leonidas avait été d’un grand secours pour lui changer les idées mais ça n’avait pas été suffisant. Peut-être que passer du temps à chercher des trucs pour desinfecter allait lui changer les idées. Elle balaye l’infirmerie du regard. C’est vrai que tout était dégueulasse. C’était pas un lieu pour soigner. Elle ouvre à son tour un tiroir, vide. Que de la poussière, que des bouts de papiers blanc dont l’encre avait fini par disparaître. “Si tu veux, je peux t’aider à nettoyer cet endroit. Y’a surement des gens qui seraient ravis de se faire soigner, eux.” Elle rit faiblement et lui lance un regard amical. Il est temps que l’atmosphère se détende. Andy ouvre une armoire, vide. Il n’y a rien. “A part que les Allemands manquent singulièrement d’humour, non, je n’ai rien trouvé. Personne ne semble savoir quel est cet endroit.”



Elle s’assied sur un lit de fer. Un lit sans matelas. Ils sont tous comme ça. Elle rit et lâche : “En tout cas, il n’y a rien de plus inutile qu’un lit sans matelas & qu’une infirmerie sans trousse de soin. Tu es médicomage ?”

Andy avait l’optimisme de croire que si Dimitri était là dans cette infirmerie, c’était pour le bien de la communauté que tous formaient à présent. La brune était de ces utopistes qui pensaient que l’intelligence et la solidarité valaient mieux que l’usage de la force dans ces conditions. Mais elle n’était pas stupide, elle savait que certains n’avaient connu que les prises de pouvoir pour se protéger, surtout ceux qui préféraient cogner et détruire. Andy ne pouvait pas les blâmer. Ces personnes ne connaissent que la force et la violence et usaient de leur capacités intellectuelles pour régner de manière dictatoriale car personne ne leur avait montré l’éventail de possibilités à côté. Ce serait comme proposer une aubergine à un bouffeur de steak.

Elle aimerait que la tension entre elle et lui s'apaise. Elle savait que s’attirer les foudres de plusieurs personnes ne serait pas de bon augure et quitte à jouer les hypocrites pour sauver sa peau, elle le ferait. Sauf si, l’autre lui manquait de respect. Là, la fouine perdrait son masque de sympathie. Mais Dimitri n’a pas l’air de manger de ce pain là, il aurait pu la juger et se moquer d’elle suite à cette petite crise d’hystérie et il ne l’a pas fait. Rien que pour ça, elle lui en était reconnaissante. L’autre abruti de bouffeur de Bretzel l’avait un peu trop secouée, et elle se détestait pour ça. L’humiliation avait été grande, mais la soumission ne ferait jamais partie de son vocabulaire. Jamais.

Dimitri continue ses recherches. Elle pourrait lui dire qu’il ne trouverait rien, que les tiroirs ne pourraient se remplir par magie mais elle perdrait son temps, le type voudrait surement tout vérifier par lui-même. Cependant, elle put discerner un faible sourire sur son visage, preuve que son humour laissait présager que ça pourrait fonctionner lui et elle. Peut-être. Une perche tendue était toujours bonne à prendre. L’homme n’était donc pas médicomage et les raisons de sa présence ici échappaient à Andy. Il s’y connaissait en plantes. C’était une information utile, surtout dans l’environnement dans lequel ils se trouvaient. Elle pourrait même le présenter à Freddie Mercury aka Leonidas, peut-être que leurs compétences respectives pourraient leur apporter à tous un peu de confort. Elle relève ses pupilles noisette vers lui avant de balayer la pièce d’un regard las. Elle laisse échapper un sourire avant de croiser les jambes. “Ca serait tellement plus simple, si tout le monde pouvait mettre ses compétences à profit.” Elle reporte son attention sur lui, croise ses bras sur le cadre du lit avant d’y caler son menton “Par exemple, moi je n’y connais rien en plantes. Ca ne m’a jamais intéressée mais ici, je sens que ça pourrait être utile... “ Elle expose un point faible, du moins c’est comme ça qu’elle perçoit sa différence. Elle son truc, c’est de jouer avec les mots, la stratégie, trouver des solutions aux problèmes. Réfléchir. Remettre la stratégie en question. Réussir sans avoir l’option d’échouer. Andy sauta sur ses pieds et dégaina sa baguette en douceur. Remettre l’infirmerie en état était une bonne idée et cela pourrait les occuper un moment & peut-être même que leurs actions seraient utiles si certains se blessent durant leur séjour à durée indéterminée sur cette île. Elle s’approcha d’une étagère en métal aux carreaux ébréchés par endroits. D’un moulinet de poignet, elle lança le sort de réparation “Récurvite !”. L’armoire se solidifie, les carreaux oublient leurs fissures et la poussière et la saleté s’évaporent. A ce rythme-là, ils en auront pour deux heures. “C’était quoi ton travail avant de débarquer ici ?” Dit-elle en se tournant vers une autre cible boisée pour la réparer.

Lancé de dés: